Jouer collectif !

De la vie de bureau à la défense des droits, les collectifs se développent pour rompre l’isolement des pigistes et porter leur voix.

Par Guillaume Bouvy et Sylvie Lecherbonnier

On pige mieux ensemble ! Le thème de l’édition 2019 des 48H de la Pige, organisée par Profession : Pigiste, n’est pas qu’un slogan. Les journalistes qui participent à des collectifs récents ou plus anciens le vivent au quotidien.

Sandrine Chesnel a rejoint Extra Muros en septembre 2018. Ce collectif existe depuis juin 2012 et regroupe une vingtaine de journalistes en presse écrite, web, radio, télé ou photographes. « Cela fait partie des meilleures idées que j’ai eues, assure-t-elle. Même si je tiens à mon indépendance, retrouver des gens après plusieurs années de pige fait du bien. Cela permet d’échanger avec des personnes qui font le même métier que toi, dans les mêmes conditions que toi. Et puis, l’intégration à ce collectif m’a ouvert de nouvelles collaborations. Tous les lundis à 12h30, on se retrouve pour déjeuner et parler de nos sujets en cours, de nos difficultés, de nos besoins. Les autres membres peuvent alors donner un contact dans une rédaction pour une idée de sujet qu’on ne sait pas à qui proposer, par exemple. Certains lundis, nous recevons des rédactrices et rédacteurs en chef qui viennent présenter leur média et leurs besoins en piges. »

« Créer un espace de bienveillance et d’échange, sans notion de hiérarchie, ni compétition ou rivalité. » Voilà résumé l’intérêt d’un collectif pour Cécile Debarge, cofondatrice du collectif 2026 et membre du réseau Spartacus, un groupe destiné à partager des bons plans, contacts et matériel entre correspondants des radios francophones, qui compte 196 inscrits. « Ces deux collectifs m’ont apporté énormément à des niveaux différents. Spartacus est plutôt là pour les aspects très pratiques, les notes de frais, les piges et contacts, avec une super réactivité en plus. Le collectif 2026 permet un travail plus étroit sur le contenu, mais aussi la relecture de synopsis, participer à des bourses et projets avec les photographes du collectif. Dans les deux cas, ces collectifs sont informels. Cela dépend beaucoup des attentes des membres. Comme je vis en Italie, le collectif est encore plus important pour moi. »

Pauline Verduzier, elle, a intégré Les Journalopes en 2016. « Après avoir été dans des rédactions en CDD, je ne voulais pas être toute seule pour travailler et être isolée. Les questions de visibilité et sociabilité m’ont également motivées. Le fait de me retrouver avec des filles qui avaient plus d’expérience m’a permis de me pousser vers le haut. De façon plus pratique, j’apprécie le fait d’avoir des relectures de mes articles, et d’avoir un bureau. Cela permet d’aller plus vite ensemble, et d’avoir un cadre. On se sent plus fort et c’est important quand on est pigiste, par exemple sur les questions des salaires : jamais je n’aurais osé négocier sinon. Le collectif permet davantage de défendre ses droits, c’est plus simple collectivement. »

Mener des actions collectives

Un engagement qui en appelle d’autres pour Pauline Verduzier. « En parallèle, je voulais m’investir dans le féminisme, j’ai donc rejoint le collectif Prenons la Une, pour permettre une meilleure représentation des femmes dans les médias. Il s’agit d’améliorer les choses dans la profession. Nous avons mené plusieurs actions, comme des tribunes, des conférences, et nous avons développé des outils d’aide sur le traitement des femmes dans les médias, avec un dossier notamment sur les violences conjugales et un Tumblr. Le collectif s’est constitué en association pour pouvoir se porter partie civile lors des procès. » Prenons la Une compte ainsi huit personnes au conseil d’administration, et une centaine d’adhérents. Le 13 avril 2019, le collectif a organisé les premiers états généraux des femmes journalistes.

Les pigistes se regroupent aussi pour défendre leurs droits. Au Monde, un premier collectif de pigistes à la journée a vu le jour fin 2016, le « collectif des pigistes à Blanqui », qui rassemble 35 correcteurs, infographistes…. Avec une revendication forte : le même tarif de pige à la journée pour tous. Revendication qui a globalement abouti un an plus tard. En parallèle, fin 2018, à la faveur d’une erreur du service RH qui envoie un mail à l’ensemble des pigistes sans copie cachée, ces journalistes commencent à échanger. Depuis, 135 personnes ont rejoint la liste de diffusion des « Pigistes du Monde ». Les discussions ont permis à certains de mieux connaître leurs droits, sur la prise en compte de l’ancienneté liée à la carte de presse dans le tarif de la pige notamment. Ils ont aussi conduit à établir une liste de revendications dont l’inclusion des pigistes dans la NAO (Négociation Annuelle Obligatoire) des rémunérations et la mise en place d’une protection sociale des pigistes basés à l’étranger. « Les syndicats comme la direction nous ont bien identifiés », estime Laurent Kahane, membre des deux collectifs.

Pour Pablo Aiquel, secrétaire à la vie syndicale du SNJCGT et également membre du collectif des pigistes du Monde, « l’organisation collective des pigistes permet de faire entendre leur voix mais il faut ensuite la transformer en action syndicale. Sans, on n’aboutit à rien. » Se syndiquer fait aussi partie des manières de la jouer collectif !

Cet article a été initialement publié dans le magazine des 48H de la Pige 2019