« Attention à ne pas trop sous-estimer le travail ! »
Pourquoi des Allemands ont décidé de s’installer à Rot Front, un village du Kirghizistan ? C’est le sujet qu’a pitché Marie-Alix Détrie à Hugues Jardel lors des 48H de la pige à Bordeaux fin juin 2018. Le rédacteur en chef adjoint d’ARTE.info est capté par l’histoire.
Retour sur un tremplin de la pige réussi.
Propos recueillis par Marie Luff
Que retenez-vous de cette première collaboration ?
Hugues Jardel : Nous avions mis la barre assez haut. Le format était long et spécifique (scrolldoc) et nous étions éloignés géographiquement [Hugues basé en France et Marie-Alix au Kirghizistan]. Mais cela s’est bien passé, je dirais même que c’était agréable. La plupart du temps avec un pigiste, les échanges sont assez réduits et se limitent aux jours de tournage et de montage.
Marie-Alix Détrie : C’était la premières fois que je pigeais pour l’audiovisuel ; il s’agissait véritablement d’un challenge pour moi. Hugues était très à l’écoute et tolérant par rapport aux galères que je pouvais rencontrer. Il y avait beaucoup de respect mutuel. J’ai rarement eu un rédacteur en chef aussi solide derrière moi.
Parmi les difficultés évoquées par Marie-Alix, des problèmes liés à la carte de presse et à sa domiciliation au Kirghizistan. Le rédacteur en chef doit-il davantage mouiller sa chemise pour un.e pigiste ?
HJ : Il ne devrait pas y avoir de différence entre un journaliste en poste et un pigiste. Tout dépend du sujet. Là, il a fallu se battre avec la paperasse administrative mais on se bat d’abord pour l’histoire.
En quoi les tremplins de la pige dénotent-ils du quotidien ?
MAD : Je suis basée au Kirghizistan. Le fait d’être loin complique la donne : on passe souvent à travers les mailles du filet. Quand j’écris un mail à une rédaction, je rédige à peine une dizaine de lignes et cela s’apparente à un trailer. Quand je connais une personne au sein de la rédaction, c’est plus simple de vendre un sujet. Lors des 48H, nous étions assis face à face. Nous avons pu échanger. J’ai pu lui expliquer pourquoi je voulais faire ce sujet.
HJ : Oui, quand tu as un pied dans la rédaction, tu es là physiquement, tu as accès aux gens. C’est forcément plus simple ! Si j’avais reçu le pitch de Marie-Alix dans ma boîte mail, sans aucune autre indication, je ne sais pas si je l’aurais pris.
Quels enseignements tirez-vous de cette collaboration ?
MAD : Clairement le financement ! Je n’avais jamais travaillé en audiovisuel. En presse écrite, nous sommes payés aux signes, qu’importe le nombre de jours travaillés. Dans l’audiovisuel, c’est au nombre de jours travaillés. La dose de travail que ça nous a demandé a dépassé les jours de pige payés parce qu’on a été optimiste sur le travail que ce webdoc allait nécessiter, avec les formats différents (texte, photos, vidéos) que nous avions proposés. Et Hugues m’a conseillé par la suite de ne pas sous-estimer le travail que je dois fournir. Ça reste dans l’ensemble une très bonne expérience, de laquelle j’ai beaucoup appris.
HJ : Quand tu es pigiste, tu veux vendre donc tu as tendance à raboter et à travailler plus que tu ne déclares. Attention à ne pas trop sous-estimer le travail !
Est-ce que cette collaboration a changé vos façons de travailler ?
MAD : J’ai tiré énormément de leçons de ce reportage. C’était la première fois que je bossais avec une boîte de cette taille. Sur le plan administratif, j’ai appris à être ultra rigoureuse. Sur le terrain, ce n’était pas évident car les Allemands installés à Rot Front sont méfiants vis-à-vis des journalistes et réaliser des interviews s’est finalement avéré plus difficile que prévu. Il faut bien préparer son sujet avant de le pitcher.
HJ : À ARTE, nous sommes encore dans des schémas traditionnels avec un cadreur, un journaliste et un monteur. Or, la réalité est différente. Aujourd’hui, les journalistes écrivent, tournent, montent, encodent…
Quels conseils adresseriez-vous aux pigistes et aux rédacteurs et rédactrices en chef ?
MAD : Parlez avec des pigistes pour savoir comment cela se passe vraiment. Nous avons besoin de ré-humaniser la pige car j’ai parfois l’impression d’être une boîte mail ou un spam.
HJ : Lors des 48H de la Pige à Bordeaux, j’ai noté une vraie faiblesse concernant la budgétisation des reportages. Réaliser trois vidéos de trois minutes, écrire 17 000 signes et proposer une vingtaine de photos en une demi-heure… cela ne peut pas marcher ! En procédant ainsi, les pigistes ne servent pas leur cause.
Le reportage de Marie-Alix Détrie lesplumees.org/ author/marie-alix-detrie et Antonin Lechat lechatfilms.com est en ligne sur le site d’Arte www.arte.tv/sites/story/ reportage/rot-frontle-dernier-villageallemand-dasie-centrale
Cet article a été initialement publié dans le magazine des 48H de la Pige 2019