Protéger les journalistes rémunéré.e.s à la pige, quoi qu’il en coûte

« Aucune Française, aucun Français ne sera laissé sans ressources. […] Nous serons au rendez-vous pour que (…) l’ensemble des travailleuses et des travailleurs puisse avoir cette sécurité en termes de pouvoir d’achat, de continuité de leur vie. »

Lors de son discours à la Nation le 16 mars, le Président de la République s’est posé en défenseur des plus précaires et en soutien à tous les salariés de ce pays. Tout semble devenir compliqué quand il s’agit des journalistes rémunéré.e.s à la pige. La notion de solidarité cède finalement le pas au lobbying patronal. Pourtant, plus d’un.e journaliste sur trois en France travaille à la pige.

Le ministère de la Culture travaille sur un décret d’application à paraître ces prochains jours, qui concernera notamment les règles d’indemnisation des journalistes rémunéré.e.s à la pige. Ces dernier.e.s sont essentiel.le.s dans la production d’une information de qualité, au moment où le public doit faire le tri parmi les « fausses nouvelles » ou « Fake news ». Or, selon une étude récente de la Scam, la moitié des salarié.e.s non-permanents gagne moins de 20 000 euros par an auprès de plusieurs employeurs.

Certaines entreprises de presse ont déjà fait savoir qu’elles leur appliqueraient le même dispositif de chômage partiel que pour les journalistes mensualisé.e.s. D’autres sont dans l’attente d’un décret. D’autres encore ont d’ores et déjà fait part de leur refus d’inclure les journalistes rémunéré.e.s à la pige ou ont défini des conditions qui excluent une grande partie d’entre eux dans leurs demandes de chômage partiel. Les journalistes pigistes sont pourtant parmi les premier.e.s à avoir vu leurs revenus baisser, à cause d’annulations ou de baisses de commandes, situation qui risque de durer. Personne ne doit être laissé sur le bord du chemin. 

Les éditeurs de presse opèrent en ce moment une forte pression sur les ministères du Travail et de la Culture pour s’exonérer de leurs obligations d’employeurs envers les journalistes les plus précaires, et ne pas définir de critères prenant en compte les spécificités du travail à la pige.

Si le ministère de la Culture donnait raison aux employeurs en refusant de définir des critères favorables dans ce décret en cours d’écriture, il livrerait les journalistes pigistes aux discussions au sein des entreprises, où les accords les concernant se comptent sur les doigts de la main.  Aussi, les organisations signataires exigent que les critères de prise en compte des journalistes pigistes dans l’activité partielle soient prévus dans le décret et refusent que ces critères soient renvoyés à l’incertitude d’un accord d’entreprise.

Les organisations syndicales représentatives de journalistes SNJ – SNJ-CGT – CFDT-Journalistes et SGJ-FO en appellent au ministre de la Culture et à la responsabilité collective des éditeurs de presse pour que chaque journaliste pigiste soit indemnisé selon les mêmes critères que chaque journaliste mensualisé.e. Il ne peut y avoir d’inégalité de traitement entre salariés relevant du même statut, de la même convention collective.

Afin que les pigistes puissent bénéficier des mêmes droits, les organisations syndicales représentatives de journalistes SNJ – SNJ-CGT – CFDT-Journalistes et SGJ-FO exigent :

– l’intégration des journalistes rémunéré.e.s à la pige (sans référence à un temps de travail, ni de possession de la carte de presse) dans les demandes d’activité partielle déposées par les entreprises, et le versement de l’indemnité d’activité partielle par l’employeur, comme pour les mensualisé.e.s;

– le seuil d’intégration suivant : journalistes rémunéré.e.s à la pige ayant reçu au moins 3 bulletins de salaire, consécutifs ou non, dans les 12 mois précédant la demande, dont 2 dans les 4 derniers mois (ou collaboration à la dernière parution dans le cas des trimestriels) ;

– le calcul de l’indemnité basé sur la moyenne des salaires des 12 mois précédant le dépôt de la demande (ou depuis la première fiche de paie pour ceux ayant débuté leur collaboration depuis moins d’un an) ;

– la possibilité pour l’administration de vérifier les montants déclarés par les entreprises auprès d’Audiens, qui connaît l’ensemble des revenus des pigistes.

 – l’intégration dans le dispositif d’activité partielle des journalistes rémunérés à la journée dans l’audiovisuel, sous contrats de CDD, CDDU.

En tout état de cause, si l’administration devait céder aux employeurs, les organisations syndicales représentatives de journalistes SNJ – SNJ-CGT – CFDT-Journalistes et SGJ-FO se réservent la possibilité d’attaquer toutes les demandes de chômage partiel qui excluront les pigistes. Avec leurs délégués et élus dans les entreprises, elles en appelleront à la mobilisation de tous les salarié.e.s, permanent.e.s comme pigistes, pour faire respecter les droits de ces derniers.

Au moment où le monde entier se bat contre un virus, les journalistes rémunéré.e.s à la pige doivent bénéficier de la solidarité nationale, au même titre que d’autres secteurs d’activité, et de la protection des entreprises qui les salarient. Quoi qu’il en coûte.

Paris, le 5 avril 2020.

Liste des signataires :

Syndicats de journalistes SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes et SGJ-FO, Fédération internationale des journalistes, Fédération européenne des journalistes, SIPMCS-CNT , SGLCE-CGT Correcteurs ; Profession : Pigiste ; Union des photographes professionnels (UPP), Divergence-Images ; Association de la Presse judiciaire (APJ), Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (Ajspi), Association des Journalistes Nature et Environnement (JNE), Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), Cercle des journalistes juridiques (CJJ) ; Collectifs We Report, Ras la plume, Indépendants.co, Spartacus (réseaux de correspondants de l’étranger), Les Pigistes du Monde, Les Plumé.e.s, YouPress, Reporters en colère (REC), La Fourmilière, Extra-Muros, Les Incorrigibles, Tu piges.