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Aux rédactions : s’émouvoir de la précarité des pigistes est un premier pas. Le second c’est d’agir.
Le 1er février, à la suite d’un article sur les conditions de travail des journalistes rémunérés à la pige au sein du Canard Enchaîné, Médiapart s’interrogeait dans sa lettre enquête sur l’investigation à la pige. Il est malheureusement rare que les médias évoquent les réalités que vivent les pigistes. Il nous semble aussi intéressant que les lecteurs, auditeurs et spectateurs des médias sachent dans quelles conditions sont produites les informations, enquêtes et reportages qu’ils lisent, écoutent ou regardent.
La précarité des pigistes qui font l’information est une réalité contre laquelle nous, associations, syndicats et collectifs, nous battons depuis maintenant 20 ans. Lorsqu’ils évoquent la question des journalistes rémunérés à la pige, les médias sont souvent juges et parties. Il est difficile de regarder les réalités que vivent les journalistes sans remettre en cause certaines pratiques des médias, et en premier lieu, les tarifs appliqués. Il n’est pas “normal” que les pigistes gagnent en moyenne 1 954 euros brut par mois, alors que ce salaire moyen est de 3 580 euros pour les journalistes en poste.
S’il existe des difficultés structurelles en tant que journalistes rémunérées à la pige, et ce encore plus lorsque l’on fait de l’investigation, il existe aussi des solutions. L’une d’entre elles tient en quelques mots : rémunérer correctement le travail fourni par les journalistes à la pige. Payer 1 200 euros une enquête qui a pu prendre deux mois nous semble bien insuffisant et cela n’est pas à la hauteur du travail fourni, cela ne s’approche même pas d’un SMIC horaire.
Il nous faut aussi rappeler ce que nous répétons depuis la création de notre association Profession : Pigiste, il y a 25 ans. Les journalistes rémunérés à la pige sont des salariés à part entière des rédactions avec lesquelles ils et elles travaillent. Nous bénéficions de la présomption de CDI et nous ne sommes pas des collaborateurs extérieurs. À partir du moment où il y a une régularité dans le travail, les pigistes font partie des effectifs de la rédaction, au même titre que les journalistes postés. La seule différence est qu’ils et elles sont rémunérés à l’article.
Beaucoup trop souvent, les employeurs “oublient” de considérer les pigistes comme leurs salariés et se “libèrent” au passage des obligations qu’ils sont tenus de respecter En tant qu’employeurs, les rédactions sont responsables de la sécurité physique et psychologique, mais aussi de la protection juridique, des journalistes rémunérés à la pige avec qui ils travaillent. C’est encore plus vrai pour les pigistes travaillant sur les sujets sensibles, notamment les terrains de guerre mais aussi les violences sexistes et sexuelles ou encore l’extrême droite.
Médias et employeurs, vous le savez : les journalistes rémunérés à la pige sont des talents sur lesquels vous vous appuyez, et qui fournissent une part essentielle des productions, avec souvent des informations et des angles inédits, qui font la notoriété de vos médias. Cessez de les voir comme une variable d’ajustement. Parfois subie, la pige est aussi un choix pour de nombreux journalistes : par intérêt pour un sujet, une aire géographique, ou pour la liberté que ce mode de rémunération permet. En aucun cas ils ne choisissent d’être précaires, ce à quoi vous les condamnez en n’intégrant pas dans l’économie de vos entreprises leur rémunération juste et suffisante.
S’émouvoir des conditions de précarité des pigistes est un premier pas. Le second, c’est d’agir, en commençant par sa propre maison.