Journalistes et attribution de la carte de presse : refléter la réalité actuelle sans perdre de vue l’essentiel

Comme beaucoup, nous avons lu la tribune de nos confrères publiée dans Télérama. En tant qu’association de journalistes rémunérés à la pige, nous représentons une large partie de la profession, de la professionnelle aguerrie qui travaille pour la presse professionnelle au jeune pigiste qui débute, du lauréat du prix Albert Londres au journaliste qui bâtonne des dépêches. Nous sommes donc sensibles à bien des points soulevés par cette tribune. Mais nous sommes avant tout frappés par ce qui n’y apparaît pas.

Nous déplorons d’abord que ce texte concentre ses critiques sur la CCIJP sans évoquer la responsabilité des employeurs, dont certains sont même co-signataires de cette tribune ! Contactée pour signer ce texte, notre association a refusé de s’associer à une démarche qui ne met pas d’abord les employeurs devant leurs responsabilités. Le premier obstacle à l’obtention de la carte de presse réside dans les pratiques illégales de certaines entreprises de presse. Alors que les lois Brachard et Cressard insistent sur le fait qu’un journaliste professionnel doit être rémunéré en salaire sous la convention collective des journalistes, de plus en plus de patrons de presse ne respectent pas ces textes de loi, et donc le Code du Travail. Ils sont nombreux, trop nombreux à payer un travail journalistique en facture, droit d’auteur ou salaire d’intermittence – or il faut être payé en salaire et sous convention collective des journalistes pour obtenir sa carte de presse. C’est obligatoire pour les entreprises de presse, et c’est possible pour toutes les entreprises. Ces pratiques illégales se retrouvent dans la presse écrite comme dans le secteur audiovisuel, aussi bien dans les médias du service public que dans le secteur privé.

Pour Profession : Pigiste, le premier des combats c’est de faire appliquer la loi et faire respecter nos droits. C’est aux employeurs de changer leurs pratiques, et non à la loi d’évoluer en leur faveur. Car toute autre rémunération que le salariat sous la convention collective des journalistes – factures, droits d’auteurs ou autres – est au bout du compte en défaveur des journalistes pigistes, en plus de les priver de leur carte de presse. Rappelons que n’importe quelle entreprise peut rémunérer en salaire sous la convention collective des journalistes. Le salariat procure une meilleure protection sociale (cotisations sociales pleines et entières, prime d’ancienneté dans la profession, 13e mois, accès à la formation professionnelle et indemnités de licenciement entre autres). Il implique aussi d’être sous le régime de l’indemnisation générale du chômage.

Nous le savons : face à des prix du feuillet qui stagnent, la profession se précarise. Mais nous entendons lutter contre cette tendance plutôt que de l’accepter. En plus d’un salaire sous la convention collective des journalistes, les journalistes doivent pouvoir prétendre à une rémunération digne, à la hauteur de leur travail. Elle doit leur permettre d’en vivre sans s’inquiéter des lendemains. C’est cela qui détermine la qualité des informations que nous produisons ; c’est aussi cela qui permet à toutes et tous de devenir journalistes et pas seulement celles et ceux qui disposent des moyens de survivre sans un salaire décent. Face à la fragilisation de nos conditions de travail, faut-il faire exploser les dernières digues qui maintiennent une protection sociale digne de ce nom ? Ou au contraire se battre pour que la loi soit respectée ? C’est cette deuxième option que nous défendons.

Cela n’empêche qu’avec les réalités que connaissent les journalistes rémunérés à la pige, il nous semble aussi important de faire évoluer certains critères de la CCIJP. Il existe des marges de manœuvre pour rendre la carte de presse plus accessible sans fragiliser le statut salarié des journalistes pigistes. Par exemple pour les journalistes qui écrivent des livres-enquêtes. Nous pensons également que les journalistes audiovisuels et documentaristes rémunérés en salaire sous la convention collective des journalistes doivent pouvoir obtenir la carte, quelle que soit l’entreprise qui les emploie. La commission, consciente de la précarité de la profession, se montre d’ores et déjà souple pour les premières demandes et neutralise déjà certaines activités (cours de journalisme dans les écoles, intervention pour l’EMI…). Nous saluons ces évolutions mais des améliorations pourraient être apportées dans certains cas précis, qu’il convient d’expliciter aux personnes déposant leurs dossiers de demande de carte de presse.

Face à la lourdeur de la procédure, n’y a-t-il pas des pistes de réflexions pour simplifier celle-ci et notamment les délais de recours, notamment dans des situations d’urgence pour des journalistes travaillant en zone de conflit ? Pourquoi ne pas envisager qu’un dossier litigieux par le passé, lorsqu’il est identique l’année suivante, puisse être accepté sans devoir repasser en commission plénière ou supérieure ? Nous avons confiance en la commission pour évoluer au mieux et prendre en compte les multiples réalités que connaissent les journalistes professionnels.
Plus que jamais il nous faut défendre cette carte et notre droit à être payé en salaire sous la convention collective des journalistes, plutôt que chercher à affaiblir nos droits et donc nos conditions de travail.